Nos tableaux de bord n’ont jamais été aussi brillants… et pourtant, le le décalage entre marketers et consommateurs s’aggrave. À l’heure des plans 2026, il est urgent de percer la « bulle du marketeur » : cette zone de confort où nos préférences, nos algorithmes et nos indicateurs nous font nous font confondre prise de crédit et création de valeur. Bonne nouvelle : un retour aux fondamentaux du brand building, allié à la mesure d’incrémentalité, permet de se reconnecter au réel et de prouver l’impact.
La « bulle du marketeur » : de quoi parle-t-on, concrètement ?
C’est le mélange de trois biais très courants :
- Auto-référence : on projette nos usages de marketeur sur le grand public.
- Bulles algorithmiques : nos feeds, nos panels et nos outils nous exposent aux mêmes signaux, encore et encore.
- Biais de métriques : on confond attribution (qui reçoit le crédit) et causalité (ce qui a vraiment changé grâce à nous).
📌 À retenir
- D’après Kantar (Media Reactions 2025), les préférences médias des consommateurs et celles des marketeurs divergent nettement : certains environnements plébiscités par le public ne sont pas ceux qui captent les budgets, et inversement. Les campagnes sont jusqu’à 7× plus efficaces lorsqu’elles atteignent des audiences réceptives.
- L’enthousiasme pour l’IA est plus élevé côté marketeurs que côté consommateurs, alors que 57% des consommateurs s’inquiètent des faux contenus générés. Autrement dit : ce qui nous excite peut ne pas rassurer notre audience.
- L’intégration cross‑canal, que 89% des marketeurs jugeaient « acquise » en 2017, n’est plus perçue que par 64% en 2025, alors que 45% de l’impact de marque provient de la synergie entre canaux.
7 signes que vous êtes (déjà) dans la bulle
- Vous utilisez votre propre usage média comme proxy de votre audience.
- Vos « victoires » viennent surtout de la recherche de marque ou du retargeting ultra-court.
- Vous changez de campagne avant que le public ne la mémorise.
- Votre mix est dicté par la mesurabilité facile, pas par l’efficacité prouvée.
- Les lift tests sont l’exception, pas la règle.
- Vos KPIs phares sont le CTR, le ROAS plateforme et l’« engagement »… plus que la croissance incrémentale.
- Personne n’a parlé à 10 clients réels ce trimestre.
💡 Conseil d’expert
Faites un « audit miroir » trimestriel : pour 5 décisions médias/créa majeures, notez la source du signal (donnée consommateur, test incrémental, benchmark externe, intuition interne). Objectif : >50% de décisions ancrées dans des données client et des tests causaux.
Retour aux fondamentaux (P&G) : la méthode pour sortir la tête du bocal
Marc Pritchard (Chief Brand Officer, Procter & Gamble) rappelle des principes intemporels — utiles, surtout en période d’IA et d’automatisation :
- Connaître intimement votre consommateur : l’insight humain précède l’idée, l’idée précède la campagne.
- Connaître votre marque : vos « racines » (promesse, ton, actifs distinctifs) guident la cohérence.
- Aimer la publicité : la répétition fait « entrer » l’idée, elle ne l’use pas.
- Construire la mémoire : des actifs reconnaissables, utilisés longtemps, partout.
- S’allier avec des créatifs de confiance : stabilité d’équipe, protection des idées, apprentissages cumulés.
🎯 À faire cette semaine
- Mener 5 entretiens clients de 30 minutes. Écrire « en leurs mots » la promesse unique de la marque.
- Lister 3 actifs distinctifs à ne jamais lâcher (jingle, mascotte, code couleur, tagline).
- Nommer votre plateforme de campagne (idée, line, assets) et l’engager sur 12 mois, avec rafraîchissements, pas de refonte.
L’incrémentalité : la métrique qui prouve ce qui a vraiment changé
Attribution = qui a reçu le crédit. Incrémentalité = ce que vos actions ont causé.
En pratique :
- Groupe test exposé à la campagne vs groupe contrôle non exposé.
- Lift = différence d’achats, de leads ou de revenus entre les deux groupes.
- iROAS (ROAS incrémental) = Revenu incrémental ÷ Dépenses.
Exemple type : 1 250 achats en test vs 1 000 en contrôle → +250 ventes incrémentales (+25%) ; si 25 000 € dépensés et 50 000 € de revenu incrémental : iROAS = 2,0.
📌 Bon à savoir
Un célèbre test chez eBay a montré que la pause des annonces de recherche de marque n’avait quasiment pas affecté les ventes : beaucoup de « conversions attribuées » se seraient produites de toute façon. L’incrémentalité distingue l’appropriation de la création de demande.
Quatre façons fiables de mesurer l’incrémentalité
| Approche | Ce que ça mesure | Idéale pour | Forces | Limites |
|---|---|---|---|---|
| Holdout randomisé (RCT) | Impact causal direct | Paid social, display, YouTube, app | Gold standard, contrôlé | Demande volume, rigueur d’exécution |
| Holdout géographique | Lift par zone | TV/CTV, retail, mix on/offline | Échelle réelle, privacy‑safe | Appariement de zones, saisonnalité |
| Contrôle synthétique / causal modeling | Contrefactuel modélisé | Campagnes nationales, rétrospectives | Utile quand on ne peut pas randomiser | Dépend fortement de la qualité des données |
| Marketing Mix Modeling (MMM) | Contribution par canal dans le temps | Pilotage stratégique multi‑canal | Privacy‑safe, répond « what‑if » | Non expérimental ; à calibrer avec des lifts |
Astuce
- Utilisez les lift tests natifs des plateformes quand c’est possible : Meta (Conversion/Brand Lift), YouTube/Google (Conversion Lift avec « ghost ads »), TikTok (Conversion Lift). Sur Amazon/Retail Media, privilégiez les geo‑tests ou des partenaires de mesure.
Plan d’action 30 jours : votre premier test d’incrémentalité
Semaine 1 : cadrage
- Choisissez 1 campagne prioritaire (ex : ajout au panier sur Meta).
- Hypothèse : « +10% de conversions vs baseline ».
- KPI : conversions incrémentales, iROAS, coût incrémental par acquisition (iCPA).
- Dimensionnez la puissance statistique (volumétrie, durée minimale d’un cycle de conversion).
Semaine 2 : set‑up
- RCT plateforme ou holdout géo. Verrouillez la créa et l’audience.
- Définissez des garde‑fous : pas de promo, prix constants, pas de refonte tracking.
Semaine 3‑4 : exécution et lecture
- Laissez le test tourner jusqu’à atteindre la puissance visée.
- Calculez lift, iROAS, intervalles de confiance.
- Décidez : scaler, itérer créa, ou couper.
🧪 Modèle de fiche test (copiez‑collez)
- Hypothèse : …
- KPI primaires : …
- Périmètre : …
- Méthode : RCT / Geo / Synthétique
- Durée et taille d’échantillon : …
- Garde‑fous : …
- Résultats : lift %, iROAS, IC95
- Décision : Scale / Iterate / Stop
- Enseignements : …
Intégrer l’incrémentalité au pilotage du mix
- Calibrez votre attribution : ajustez les ROAS par canal avec des coefficients issus de vos lifts (ex : Search marque ×0,3 ; Prospecting Meta ×1,4).
- Budgétez par preuves : allouez +X% de budget aux canaux iROAS>1,5 et coupez sous 1,0 hors objectifs de marque.
- Orchestrez la synergie : Kantar observe que ~45% de l’impact provient des interactions entre canaux. Testez des séquences (ex : TV/CTV → YouTube long → 6s bumpers → Search non‑marque).
- Tenez un « journal d’incrémentalité » partagé : hypothèses, set‑up, résultats, décisions, facteurs externes.
📊 KPI de programme
- Part du spend testé en lift ce trimestre (cible : ≥30%).
- Part du budget avec iROAS validé (≥60%).
- Délai décisionnel post‑test (≤10 jours).
- Ratio « learnings répliqués » (≥70%).
Créa et mémoire : mesurez aussi l’effet publicitaire, pas seulement la conversion
- Maintenez vos actifs distinctifs (codes visuels/sonores) au fil des formats : c’est la base de la mémorisation.
- Équipez vos tests : holdout créatif (brand vs direct response), tests de fréquence, séquençage long → court.
- Mesurez brand lift sur vos campagnes de mémoire et alignez‑les sur les ventes incrémentales à moyen terme.
💬 Exemple express
- Une marque d’entretien a ancré une promesse unique (« nettoie l’impossible ») sur plusieurs années. La répétition cohérente, déclinée en TV, YouTube et retail‑media, a maximisé la reconnaissance et l’efficacité incrémentale.
Erreurs fréquentes (et comment les éviter)
- Tests trop courts ou trop petits : dimensionnez la puissance avant de lancer.
- Contamination du contrôle : surveillez la surexposition organique ou cross‑canal.
- Multiples changements simultanés : gardez 1 variable clé à la fois.
- Ignorer saisonnalité et promos : notez les événements externes, ajustez les modèles.
- Se fier uniquement aux plateformes : croisez lift natifs, geo‑tests et MMM.
- Optimisation « pour le crédit » : les algorithmes maximisent les conversions attribuées, pas forcément incrémentales. Recalibrez vos signaux et vos objectifs.
IA et bulle de confiance : avancez, mais avec garde‑fous
- Utilisez l’IA pour le design expérimental (calcul de puissance, matching d’audiences, détection d’anomalies).
- Soyez transparent sur les contenus générés et authentifiez vos créas : le public reste vigilant face aux faux.
- Ne laissez pas l’optimisation automatique piloter seule la stratégie : validez chaque palier d’investissement par un test incrémental.
Quick wins pour percer la bulle dès ce trimestre
- Coupez 2 semaines la recherche de marque sur une zone test ; mesurez l’effet sur les ventes (et les requêtes).
- Passez 20% du budget vidéo en formats plus longs pour encoder la mémoire, puis 80% en rappels courts pour l’efficacité.
- Testez influence vs créa propriétaire : exigez des ventes incrémentales, pas seulement des vues.
- Rééquilibrez le mix vers les points de vente et événements si vos clients y sont réellement influencés.
- Cappez la fréquence en retargeting et déplacez l’excédent vers du prospecting prouvé incrémental.
📌 À retenir
- Broadcast TV/CTV demeure un contributeur d’impact de marque élevé dans de nombreux contextes ; les contenus influenceurs et la vidéo en ligne sont en hausse d’investissement, mais testez leur lift réel avant de généraliser.
- Certaines plateformes notées « sûres » par les marketeurs ne sont pas toujours celles que les consommateurs préfèrent. Laissez vos tests trancher, pas vos intuitions.
En fin de compte, sortir de la bulle du marketeur demande un double mouvement : revenir aux fondamentaux humains du brand building et et ancrer chaque décision média dans la preuve causale. Faites parler vos clients, faites parler vos tests — et laissez votre budget suivre la suivre la valeur réellement créée, pas les métriques qui flattent.